mardi 26 juin 2012

Rencontre avec une calebasse



RENCONTRE AVEC UNE CALEBASSE


"Je n'ai jamais été un chercheur de la Vérité mais un amoureux de la Vérité qui, de ce fait, la trouve!"

Paroles de l'inconnu

Le soleil frappait sec et d'équerre, sur le chemin caillouteux et la fournaise de l'été immobilisait gens, animaux et arbres, d'une chape brûlante. On était au mois de septembre et, pourtant, le soleil ne voulait pas encore répondre au calendrier.

Le pas lent du marcheur crissait sur les pierres poussiéreuses qui montaient vers le sommet de la colline, là-bas. Il avait soif et rêvait d’eau fraîche coulant d'un ruisselet. Il marchait de plus en plus lentement.

Dans les brumes de sa rêverie, il distingua un homme sans âge, assis au bord du chemin et bizarrement vêtu. D'abord il avait un méchant pantalon, usé, noué d'une ficelle de chanvre, puis une chemise à manches courtes, râpée, usée jusqu'à la trame et qui avait dû être blanche.

S'approchant, il découvrit une drôle de tête aux yeux lourds, aux traits acérés et aux cheveux noirs qui le faisaient ressembler à un grand escogriffe. Surtout, il y avait une espèce de gourde posée à terre et qui devait être pleine. Déjà il s'en désaltérait!

Arrivé à sa hauteur, il s'arrêta pour échanger quelques banalités:

"Il fait chaud!"

L'autre le fixait en hochant la tête. Il renchérit alors:

"Je meurs de soif".

Le silence continuait, sous le regard perçant de l’homme. Il abdiqua:

"Auriez-vous quelque chose à boire ?"

D'un geste lent, l’homme tendit sa gourde et prononça lentement:

"Elle est vide".

Puis il la reposa à terre. Le marcheur découvrit, alors, qu'il s'agissait d'une calebasse; il reprit:

"Permettez-vous que je m'asseye prés de vous?"

"Faites donc", autorisa l’homme d'un ton neutre.

Il s'assit donc et le silence continua.

"C'est une calebasse?", interrogea-t-il.

"Oui".

"C'est rare ?", insista-t-il.

"Oui".

"Vous venez de loin?"

"Non".

"Vous habitez le coin?"

"Non".

"Ah!"

La discussion n'était pas féconde. La calebasse vide l'intriguait et il la regardait; à quoi peut bien servir une calebasse vide, se demandait-il? Si encore elle avait été pleine, il comprendrait mais, de toute évidence, elle ne l'avait pas été puisqu'elle était ouverte et qu'il n'y avait aucune trace de bouchon, de ficelle, rien.

Il étira ses jambes, prit une position plus confortable et continua de penser, sans but. Cette calebasse l'intriguait. Une calebasse vide est pleine de quelque chose, tout de même; tout est relatif selon le point de vue où l'on se place. Elle est pleine d'air, évidemment, mais en poussant très loin dans l'absurde, est-elle pleine de vide ou vide de plein?

"Bof, je divague", se dit-il.

"C'est mon quart d'heure colonial et le soleil en est la cause".

Son esprit était vide comme la calebasse. Sa vie aussi d'ailleurs. Pourtant, il avait plein de choses: une voiture, une maison, un emploi, une femme et des enfants, des amis, des parents, un compte en banque bien garni, des lingots d'or et des actions à la bourse, la santé, etc... Abondance de biens ne nuit pas...! Bof! Il se sentait pourtant vide comme cette maudite calebasse qui le narguait de l'œil noir de son embouchure.

A l'intérieur de lui-même, c'était tout aussi noir. Il ne savait pas pourquoi; peut-être parce qu'il avait trop de biens au soleil. Il regarda l'astre solaire et baissa aussitôt les yeux. La vérité est comme la lumière, insoutenable.

Il savait seulement que tout cet avoir ressemblait à cette calebasse dont lui était le vide... Derrière cette muraille qu'y avait-il? D'abord lui-même, vide, d'un côté et un ailleurs, vide, de l'autre. Une fenêtre n'existe que s'il y a un vide de chaque côté.

La vacuité est liée à la plénitude comme les aspects d'une seule et même réalité, mais laquelle?

"Je ne vais pas bien et ce soleil tape dur sur ma pauvre cervelle de..."

et il s'interrompit pour découvrir, tout à coup, qu'il venait de s'apitoyer sur lui-même.

"Ouh, c'est grave et je délire", se dit-il.

"Maudit soleil"!

"Bon il y a le vide et le plein. Si j'y mets quelque chose sera-t-elle, cette maudite calebasse, à moitié pleine ou à moitié vide? A moitié pleine, si j'espère la remplir, à moitié vide si j'en désespère. Que c'est fatigant de penser par cette chaleur".

"Ma vie n’est pas complètement vide, c'est vrai et c'est d'ailleurs ce qui me permet de vivre. Une vérité de La Palice ! Mais, il y a un mais; si je me pose toutes ces questions, c'est bien que cela n'est pas aussi évident que je le pense. Ah! Ma vie, ne serait-elle pas à moitié vide"?

"Voilà, j'arrête de penser. Ouf! Cela fait du bien. Est-on fait pour réellement penser, d'ailleurs ? Quand on pense, on ne fait que cela et on devient fou! La preuve? Tous les penseurs ont mis le monde à feu et à sang, par personne interposée. A cause des idées, les fanatiques de tout bord ont massacré des innocents; les imbéciles! La pensée ne doit pas être prise à la lettre, évidemment, et encore moins les discours. Ah!"

"Pas moyen de s'arrêter de penser. Que faire? Je n'ai jamais pu aller au fond des choses par la pensée. Je raisonne comme une casserole quand je pense. Je suis trop plein de préjugés, d'idées toutes faites et empruntées aux autres. Et moi ...? Tiens donc; je découvre que je n'ai jamais pensé par moi-même, jusqu'à présent. Ouh, la la! C'est grave. Maudite calebasse".

"Bien, j'arrête de penser, pour de bon cette fois-ci. On va bien voir s'il vient quelque chose, du vide, et qui ne soit plus ce que la société m'a inoculé comme idées... étrangères, à moi".

Il ferma les yeux, et s'endormit.

Une éternité était passée, quand il s'éveilla. D'abord, il s'interrogea, les yeux mi-clos:

"Où suis-je? Cela fait combien de temps que je suis ici? Où est passé l’homme? Ah, c'est vrai, je l'ai vu partir, tout à l'heure, et il m'a dit: Alex, brise cette calebasse et tu auras la réponse à tes questions". (Alex: de a privatif et lex "loi").

Il sursauta alors en rouvrant les yeux, pour s'inquiéter avec angoisse et après avoir constaté que son hôte avait bien disparu:

"Mais comment ai-je pu le voir partir, par quel moyen a-t-il pu m'appeler par mon prénom et deviner mes pensées secrètes?"

Il pensa qu'il avait rêvé, tout simplement, après s'être endormi, et il se leva lentement. S’étant dérouillé les jambes, qu'il avait engourdies, il jeta un regard circulaire et, avec stupéfaction, découvrit la calebasse, gisant sur un lit d'herbe.

Il la prit d'une main ferme, la tourna et retourna en songeant que son cerveau était sûrement plus fêlé que l'écorce de la calebasse dont la fêlure qu'il devinait à travers un fin liseré brun, partait de l'embouchure pour mourir vers la base. Alors il la jeta énergiquement contre une grosse pierre où elle éclata en morceaux, et avec un bruit sec, vide...

Il contempla, longtemps, les débris épars et ne put s'empêcher de penser, encore:

"Ma vie éclatera un jour, en mille et un morceaux, et moi où irai-je ? A ma mort, et comme le vide contenu par cette calebasse disparue, où serai-je ? Serai-je dissout au sein de la vacuité ou bien deviendrai-je cette même vacuité ? Serai-je goutte d'eau dissoute dans l'océan ou bien océan moi-même ?"

Il secoua la tête, retourna sur ses pas pour rentrer dans sa demeure. Il chassa une dernière idée:

"Cet homme, quand même, avec sa calebasse...?"

Puis il pouffa:

"Maître calebasse...!"

Oui, mais...?




















































































































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