samedi 3 septembre 2011

Le discours de KRISHNAMURTI (Le discours) - 3° partie




LE DISCOURS
(En "bleu", les arguments de KRISHNAMURTI ; en "noir" les commentaires de MENTOR)

« La bienveillance envers tous les Êtres est la vraie religion »
 
BUDDHACARITA
  
« Ce matin, nous allons discuter la dissolution de l'Ordre de l'Étoile. Beaucoup vont être contents, d'autres en seront affligés. Mais il ne s'agit pas ici de joie ni de tristesse, puisque cette dissolution est inévitable, comme je vais vous le démontrer. »
  
« Peut-être vous souvenez-vous de cette histoire du DIABLE et de son ami. Ils marchaient le long d’un chemin ; ils aperçurent un Homme qui se baissait pour ramasser quelque chose et la mettre dans la poche. L'ami interrogea le DIABLE : "Qu'est-ce que cet Homme vient de ramasser ?" "Un petit bout de Vérité", répondit le DIABLE. "Mauvaise affaire pour vous", remarqua l'ami. "Pas du tout", répliqua le DIABLE, "car je le lui laisserai organiser". »
 
« La Vérité est un pays sans chemin, que l'on ne peut atteindre par aucune route, quelle qu'elle soit ; aucune religion, aucune secte. Tel est mon point de vue et je le maintiens d'une façon absolue et inconditionnelle, inapprochable par quelque sentier que ce soit, la Vérité ne peut pas être organisée. On ne devrait donc pas créer des organisations qui incitent les Hommes à suivre un chemin particulier. Si vous comprenez bien cela dés le début, vous verrez à quel point il est impossible d'organiser une croyance. Une croyance est une question purement individuelle, et vous ne pouvez ni ne devez l'organiser. Si on le fait, elle devient une religion, une secte, une chose cristallisée, morte, que l'on impose à d'autres. C'est tout ce que tout le monde essaie de faire. La Vérité est ainsi rétrécie et transformée en un jouet pour ceux qui sont faibles, pour ceux dont le mécontentement n'est que momentané. La Vérité ne peut pas être rabaissée au niveau de l'individu, mais c'est bien l'individu qui doit faire l'effort de s'élever jusqu'à elle. On ne peut amener dans la vallée le sommet d'une montagne. Si on veut l'atteindre, il faut prendre par la vallée, grimper les pentes raides, sans craindre le danger des précipices. Il faut monter vers la Vérité ; elle ne peut pas être abaissée vers vous, organisée pour vous. Si c'est par son organisation qu'une idée vous a intéressé(e), cela prouve que l'intérêt n'était ici qu'extérieur. L'intérêt qui ne naît pas de l'amour pour la Vérité est sans valeur. L'organisation devient un cadre pour la commodité des membres qui s'y insèrent. Ils ne s'efforcent plus vers la Vérité, vers le sommet de la montagne, mais ils se creusent une niche confortable dans laquelle ils se placent, ou se font placer, pensant qu'ainsi l'organisation les conduira à la Vérité. »
 
La Vérité, dont disserte KRISHNAMURTI, n'est pas un acquis intellectuel, scientifique, ou professionnel : elle n'est pas, non plus, l'opinion que l'on a sur telle chose ou, plus globalement, le fruit de l'expérience sensorielle. Plus universellement, il s'agit de la conséquence du dépouillement du mental, au profit d'une réalité supérieure : un état d'être.
 
Au-delà des concepts d'immanence et de transcendance, la Vérité est l'inconnaissable, l'éternel : il s'agit de l'état particulier de la conscience individuelle totalement achevée et éveillée. Cet état d'être, ineffable, a pu être formulé par le mot DIEU dans le sens de l'Universel gîté à l'intérieur de tout être vivant.., ou mort. Mais aucun mot ne peut définir une expérience ontologique, pure, par le fait même de sa nature, incompatible avec les règles de la sémantique et de la sémiologie en ce domaine.
 
Les preuves sont multiples, bien qu'aveuglantes ; d'où la cécité du plus grand nombre que la lumière éblouit par trop d'intensité. Les religions sont, restent toujours, le pire instrument de violence multiforme que la planète ait connu. Aucune "personne humaine" n'y résiste.
 
La Vérité n'a pas de chemin ; si elle en avait eu, on le saurait et la planète connaîtrait l'âge d'or tant rêvé, sans guerre, ni exploitation, ni maladie, ni la mort. Le sommet peut être atteint par tous les versants possibles. Pour l'être l'ayant atteint et qui a une vue panoramique du volume (comme pour une pyramide par exemple), la multitude des alpinistes s'en approche, bien qu'occupant des plans différents (la face ouest, nord, est, sud, et cœtera). A la grande différence, cependant, que chaque grimpeur ne voit pas les autres faces et s'identifie donc à la sienne propre, comme étant la seule réelle. Les conséquences de cette vision dichotomique sont les guerres, conflits internes, idéologies ayant les mêmes buts mais qui se combattent en une lutte fratricide, insensée. N'ayant aucun chemin, la Vérité peut être atteinte librement.
    

« Voilà la première raison, pour laquelle, à mon point de vue, l'Ordre de l'Étoile doit être dissout. Malgré quoi, vous allez probablement fonder quelque autre Ordre, vous continuerez à appartenir à d'autres organisations qui cherchent la Vérité. En ce qui me concerne, je ne veux appartenir à aucune organisation. Il est bien entendu qu'il ne s'agit pas, ici, des organisations matérielles, mécaniques, qui sont utiles, et même indispensables comme, par exemple, si je prends un train pour mener à Londres, ou si j'emploie la poste ou le télégraphe. Toutes ces choses ne sont que des machines, elles n'ont absolument rien à voir avec la spiritualité. Je le répète, aucune organisation ne peut conduire les Hommes à la vie spirituelle. »
  
Une organisation de la Vérité est une aberration dans la mesure où il y a cristallisation d'un versant de la connaissance, au détriment de l'infini des autres, complémentaires. Les religions et sectes privilégient un aspect de la Vérité, un morceau de savoir et l'érigent en référent absolu, la seule norme reconnaissable. Au nom de ce dogme, les tenants de la théorie idéologique vont créer un sur-moi répressif des différences ; en effet, transformé en faux savoir, parce que limité à un moment historique de la pensée, un secteur de la connaissance sera accaparé par une caste privilégiée sur lequel elle appuiera un pouvoir personnel. Ceux qui penseront différemment seront punis, exclus, rejetés et réprimés. Un jugement de valeur sera émis en fonction d'une échelle d'évaluation toute subjective, car reposant sur des fondements irrationnels. On aboutit enfin à la répression des opposants et insoumis ; ce sera l'inquisition, la croisade. L'hiver de la pensée et du sentiment enfin.
 
« Si l'on crée une organisation dans ce but, elle devient vite une béquille, une entrave qui mutile l'individu et l'empêche de grandir, d'établir sa personnalité unique, laquelle réside dans la découverte, pour soi-même, de cette Vérité absolue, inconditionnée. Telle est la seconde raison pour laquelle j'ai décidé, puisque je me trouve être le chef de l'Ordre, de le dissoudre. Personne n'a pesé sur ma décision. »
 
Les humains ont besoin de cerceaux et de béquilles idéologiques, tant qu'ils sont des bébés vagissants, babillants et souillant leurs couches de caca. A vouloir les en libérer trop tôt, c'est les condamner à mort. Il en est de même pour le mental tant qu'il n'est pas adulte, c'est à dire qu'il reste incapable de penser par lui-même. Toutefois, il y a un danger énorme de maintenir ces outils dés lors que l'Être est assez robuste pour s'en libérer et marcher tout seul. Si la coutume, la culture ou bien l'oppression maintiennent de force des objets devenus des carcans, des entraves, la personne s'étiole, devient monstrueuse et meurt ; à moins que, sous un sursaut vital, la conscience s'éveille et jette au feu de la discrimination un attirail doctrinal et théorique, mortifère, qui entravait son existence d'être libre.
 
« Il n'y a rien de tellement extraordinaire puisque je ne veux pas de disciples. Dés le moment que l'on suit quelqu'un, on cesse de suivre la Vérité. »
 
Suivre un modèle c'est vouloir attraper une ombre ; celle de soi-même. En effet, l'imaginaire projette sur l'exemple son mode de représentation et ce sera l'image de son propre mental qui sera prise pour la Vérité. De plus, l'autre sera tenté d'être freiné dans sa propre évolution, conforté par l'idée présomptueuse d'une quelconque supériorité qui lui serait reconnue. Ce sera vite renouveler la fable de l'aveugle et du paralytique.
 
« Je ne me préoccupe pas de savoir le cas que vous faites de ce que je dis. Je veux faire une certaine chose dans le monde, et je la ferai avec une invariable fixité de concentration. Je ne veux m'occuper que d'une seule chose essentielle : libérer l'Homme. Le libérer de toutes les cages, de toutes les craintes, et non pas au contraire fonder de religion , ni de secte, ni proposer de nouvelles théories philosophiques. »
 
Les gens ont des oreilles mais ils n'entendent pas ; ils ont des yeux mais ils ne voient pas, disait le penseur. Dire à quelqu'un qu'il dort, ce n'est pas forcément le réveiller s'il a envie de rester endormi. Si on insiste, il peut vouloir dévorer l'autre.
 
Beaucoup de Sages ont payé de leur vie leur volonté de ranimer les autres. L'un fut même crucifié ; d'autres furent massacrés, empoisonnés, déportés. Trop d'intérêts sont en jeu derrière l'exploitation des croyances ; une véritable maffia vit sur les dogmes, la dogmatique, et les religions ont beaucoup nourri de monde, sur le dos des croyants. Un tel marché de dupes rapporte gros ; encore de nos jours, des millions de prêtres et clercs de toute confession s'engraissent par l'exploitation de l'Homme pour son bien.
 
« Vous allez naturellement me demander pourquoi je parcours le monde entier en parlant. Je vais vous le dire. »
 
« Ce n'est pas pour être suivi, ce n'est point par le désir de me composer un groupe spécial de disciples choisis. Les Hommes aiment tellement à se distinguer de leurs semblables, fut-ce par les différences les plus absurdes ! Cette absurdité, je ne veux pas l'encourager. Je n'ai pas de disciples, je n'ai pas d'apôtres ; ni sur terre, ni dans le domaine de la spiritualité. »
 
La recherche de la différence découle d'un besoin de reconnaissance de soi-même, par l'entourage. On veut exister par l'affirmation de son ego. Tous les prétextes sont bons à cet égard ; même les sectes, partis politiques (qui ne sont pas forcément des partis d'en rire), et cœtera...

La spiritualité, et ce sera un comble, peut être considérée comme un facteur de différence, appréciable par l'ego. D'où la faillite de la majorité des quêtes spirituelles quand elles n'aboutissent qu'à l'inflammation de l'ego, à la surestimation du moi, au lieu de son dépouillement. JUNG l'avait démontré.
 
« Ce n'est pas, non plus, le désir de l'argent ni de la vie confortable qui me mène. Si je voulais avoir une telle vie, je n'irais pas dans des camps, ni dans des pays humides. Je parle en toute franchise, car je désire que ces choses soient établies, clairement, une fois pour toutes. Je ne veux pas continuer, d'année en année, des discussions enfantines. »
 
Certes, si KRISHNAMURTI avait voulu la vie facile il lui eut suffi de rester à la tête de l'Ordre de l'Étoile d'Orient, bien au chaud sur le coussin de l'adoration béate des bovidés. D'autres Indiens, faux yoguis mais vrais escrocs, n'eurent pas les mêmes scrupules ; quelques-uns roulèrent dans de splendides Roll Royce et brassèrent des milliards de dollars.
  
« Un journaliste, qui m'interrogeait, trouva extraordinaire de dissoudre une organisation composée de milliers et de milliers de membres. Il disait : « Que ferez-vous ensuite ? Comment vivrez-vous ? Vous n'aurez plus personne pour vous suivre ; on ne vous écoutera plus ». Eh bien ! Moi je vous dis : S'il n'y a que cinq personnes qui veuillent entendre, qui veuillent vivre, dont les visages soient tournés vers l'éternité, ce sera suffisant. A quoi cela sert-il d'avoir des milliers de personnes ne comprenant pas, définitivement embaumées dans leurs préjugés, ne voulant pas la chose neuve, originale, mais la voulant traduite, ramenée à la mesure de leur individualité stérile et stagnante ? Je vous parle avec une certaine violence, mais je vous prie de bien m'entendre ; ce n'est pas par manque de compassion. Si vous allez consulter un chirurgien, n'est-ce pas bonté de sa part de vous opérer, même s'il vous fait mal ? C'est ainsi que, si je vous parle sans détours, ce n'est point par manque d'amour, au contraire.»
 
Certes, le rôle de n'importe quel clergé est de vivre aux dépens des disciples, fidèles ou croyants, qu'il a dressés selon un conditionnement culturel, parfait. Cette réalité est admise dans le monde entier et le journaliste ne déroge pas à la mentalité commune, par sa question impertinente, qui reste très pertinente néanmoins.
 
Un clerc sans ouailles est comme un général sans armée. Que serait un Pape sans églises, ni cardinaux, ni prêtres, ni fidèles travaillant comme des abeilles laborieuses pendant qu'eux distillent la "bonne parole" ; du vent ! KRISHNAMURTI, imposé comme le Chef d'une nouvelle religion, démissionne ; donc "il crache dans la soupe". Sa marginalisation est ressentie comme suicidaire, sur le plan économique, par l'opinion. De quoi va donc vivre le protestataire ?
 
KRISHNAMURTI a déjà répondu à ce genre d'objection en filigrane de son argumentation. Il sous-entend qu'il quitte justement son organisation pour ne plus exploiter les croyances d'autrui à son profit. Par conséquent il travaillera comme tout le monde, selon ses compétences, potentielles ou acquises.
 
Puis, KRISHNAMURTI ramène le débat à ses justes dimensions. Le nombre lui importe peu car il ne confond pas quantité avec qualité. Ceux qui sont prêts le sont à leur heure et nul ne l'est avant que celle-ci n'ait sonné.
 
La plupart des humains dorment, abrités dans des croyances qui les sauvent de leur réalité ; réalité de leur personnalité stéréotypée, éphémère, mortelle, artificielle et montée de toutes pièces, derrière laquelle ils se protègent. Ils ne veulent surtout pas se voir en leur vérité nue ; ce serait une découverte mortelle et suicidaire. Aussi, rejettent-ils toute contradiction et toute image qui les renverraient à leur propre médiocrité et à leur indigence. D'où la violence dans leur refus de changer d'idée et d'opinion ; ils sont déjà morts.
 
« Comme je vous l'ai déjà dit, je n'ai qu'un but : rendre l'Homme libre, l'inciter à la liberté, l'aider à s'affranchir de toutes les limitations, car cela seulement lui donnera le bonheur éternel, la réalisation inconditionnée du SOI. »
 
« C'est précisément parce que je suis libre, inconditionné, intégral, parce que je suis la Vérité ; non point partielle, ni relative, mais entière, la Vérité qui est éternelle, c'est pour cela que je désire que ceux qui cherchent à me comprendre soient libres. Et non pas qu'ils me suivent, non pas qu'ils fassent de moi une cage qui deviendrait une religion, une secte. Ils devraient plutôt s'affranchir de toutes les craintes : de la crainte des religions, de la crainte du salut, de la crainte de la spiritualité, de la crainte de l'amour, de la crainte de la mort, de la crainte même de la vie. Comme un artiste qui peint un tableau parce que c'est son art qui est sa joie, son expression, sa gloire, son épanouissement, c'est ainsi que j'agis, et non pour obtenir quoi que ce soit de qui ce soit . »
 
KRISHNAMURTI donne la réponse à l'angoissante question posée par le Sphinx de GIZEH: "Que suis-je ?" à l'Homme qui passe sans le voir, dans le désert égyptien. Tu es pour te poser, justement, la question et, cela, personne ne peut le faire à ta place ; ni religion, ni dogme, ni secte, ni idéologie, ni philosophie. La clef te sera conférée par et avec ta liberté recouvrée, toute nue. Le SOI, universel, est la Vérité qui se dévoile toute seule, sans aide aucune de quiconque.
  
La seule aide acceptable reste dans la libération de la croyance en la possibilité d'être "sauvé" par quelqu'un d'autre que SOI. Le seul rôle que pourrait valablement jouer un "guide", sans tomber dans la pathologie, serait dans la dénonciation de tout guide différent du SOI. Voilà le vrai Guru... !
 
KRISHNAMURTI énonce une idée ambiguë, quand il avoue être la Vérité. Pour un judéo-chrétien, le risque est de comprendre cette formule à travers le prisme déformant du message du CHRIST qui affirmait la même image. Car les évangiles sont considérés comme un message verbal, la parole divine. Mais KRISHNAMURTI n'est pas le CHRIST et sa phrase est à resituer dans un contexte nouveau.
 
Selon KRISHNAMURTI, la réalisation du SOI est la Vérité concomitante de la Liberté totale dans la vie éternelle. Il s'agit d'un concept universel, au-delà des limites cosmiques. Être la Vérité, pour KRISHNAMURTI, c'est Être, totalement et librement !
 
Aucune confusion n'est possible sur la pureté du comportement de KRISHNAMURTI quand il ajoute qu'il ne veut pas qu'on le suive... Tout un programme faisant appel, moins à l'acuité intellectuelle, plus à l'intuition la plus profonde.
 
Les cages idéologiques, religieuses, enferment dans leurs dogmes mortifères de la pensée et du sentiment. Certes, d'aucuns peuvent objecter qu'une cage en or est différente d'une autre, en fer ; mais est-ce que c'est la nature du métal qui fait la cage, ou bien la chaîne ? Grave, très grave question. Les cages sont des prisons ; qu'on le veuille ou non ! On y est enfermé de son plein gré ou contre sa volonté ; par crainte de soi-même, ou bien de celle des autres à notre propre égard.
 

« Vous êtes habitués à l'autorité, ou à l'atmosphère de l'autorité ; vous attendez d'elle de vous faire accéder à la vie spirituelle. Vous croyez, vous espérez qu'un autre, par des pouvoirs extraordinaires, un miracle, va vous transporter dans la région de la liberté éternelle, qui est le bonheur. Toute votre conception de la vie est basée sur cette croyance. Voici trois ans que vous m'écoutez sans que, à part quelques exceptions, aucun changement se soit produit en vous. Analysez bien ce que je dis, avec un esprit critique, afin de comprendre pleinement, profondément. Lorsque vous demandez à une autorité de vous mener à la vie spirituelle, vous êtes automatiquement obligé de construire une organisation autour de cette autorité. Et par le fait même de cette organisation, vous voilà prisonnier comme dans une cage. »
 
L'autorité est liée à la supériorité, réelle ou supposée, reconnue ou invoquée par la personne qui en est la manifestation, et qui peut être physique ou morale, ou bien par l'entourage. Il y a celle de la multitude sur la minorité, celle du plus fort sur le plus faible, du plus savant sur l'ignorant, et cœtera... Elle peut être l'instrument de la domination et de l'exploitation la plus éhontée. KRISHNAMURTI est donc en décalage avec la coutume, en matière de religion, où l'autorité cléricale est absolue. Il est vrai que les religions et organisations confessionnelles sont des entreprises de conditionnement intellectuel et psychologique dans le plus pur style pavlovien.
  
« Si je parle avec cette franchise, pensez bien que je ne le fais point par dureté, ni par un excès d'ardeur dans la poursuite de mon but, mais parce que je veux que vous compreniez, car enfin c'est pour cela que vous êtes ici, et nous perdrions notre temps si je n'expliquais pas clairement, d'une façon décisive, mon point de vue. »
 

« Pendant dix-huit ans, vous avez tout préparé pour cet événement : la venue de l'Instructeur du monde. Pendant dix-huit ans, vous vous êtes organisés, vous avez attendu quelqu'un qui vienne apporter une nouvelle joie à votre esprit et à votre cœur, encourager et transformer votre existence, vous donner un autre entendement, vous élever à un plan supérieur de la vie, vous rendre libres enfin ; maintenant, voyez ce qui se passe ! Considérez, raisonnez avec vous-mêmes, cherchez si cette croyance vous a rendus différents, et je ne vous parle pas de cette différence, toute superficielle, qui consiste à porter des insignes ; détail tout à fait mesquin et absurde. »
 
La puérilité de la différence pour la différence, autrement dit du snobisme intellectuel sous le couvert d'une pseudo spiritualité, se traduit souvent par le port d'insignes. Les églises avec leurs différences, bien qu'elles parlent d'un DIEU unique, ont des avis divergents qui aboutissent à l'intolérance et à l'exclusion de la diversité. Ces comportements sont irrationnels.
 
« Cette croyance a-t-elle balayé en vous toutes les choses non essentielles de la vie ? Il n'y a ici qu'un critérium : de quelle façon êtes-vous plus libres, plus grands, plus dangereux à l'égard de toutes les sociétés basées sur tout ce qui est faux et non essentiel ? En quoi les membres de cette organisation de l'Étoile se sont-ils transformés ? »
 
Toute organisation est un moule dans lequel il convient de se couler. Devenus des bovidés, les croyants meuglent devant les orateurs qui dictent ce qu'il faut croire et ne pas croire. Dés qu'un système limite l'épanouissement de l'être, sous le prétexte d'une vérité pseudo divine, il y a une escroquerie morale, intellectuelle, rédhibitoire car cette attitude contredit sa vocation, d'elle-même.
 
« Comme je l'ai dit, vous avez tout préparé pour moi, pendant dix-huit ans. Il m'est égal que vous croyiez que je sois ou non l'Instructeur du monde. Cela est sans aucune importance. Comme membres de l'Ordre de l'Étoile, vous avez donné votre sympathie et votre énergie parce que vous admettiez que KRISHNAMURTI était l'Instructeur du monde, partiellement ou totalement ; totalement pour ceux qui cherchent en toute bonne foi, et partiellement pour ceux que satisfont leurs propres demi vérités. »
 
Les humains cherchent, presque toujours, le refuge auprès de quelqu'un qui leur dira ce qu'il faut faire ou ne pas faire, croire ou ne pas croire, et cœtera. Ils sont incapables, pour la plupart, de penser par eux-mêmes et il leur faut un mentor.
  
Cet infantilisme a été exploité, depuis toujours, par les gouvernants, dictateurs et chefs. Ainsi que le confiait certain Philosophe: « Nous sommes un peuple de débiles gouvernés par des semi débiles" ; le Général Charles DE GAULLE constatait : "Les Français sont un peuple de veaux" (sic) - traduisons "Un peuple de bovidés de la pensée et du sentiment" ; ce qui ne l'avait pas empêché d'exploiter cette particularité !
  
« Donc, vous avez tout préparé pendant dix-huit ans ; voyez cependant combien de difficultés se trouvent encore sur la voie de votre compréhension, combien de complications, combien de choses mesquines. Vos préjugés, vos craintes, vos autorités, vos églises, anciennes et nouvelles, toutes ces choses, je le maintiens, sont des obstacles à la compréhension. Je ne veux pas que vous acceptiez mon opinion, mais que vous me compreniez . »
 
Les religions exploitent les peurs ancestrales pour programmer les consciences selon les desseins d'un clergé.
 
« Cette compréhension est nécessaire parce que votre croyance n'a pas suffi pour vous transformer, mais qu'elle vous a seulement compliqués, et parce que vous n'êtes désireux d'envisager les choses telles qu'elles sont. Vous voulez avoir des dieux à vous, de nouveaux dieux au lieu des anciens, de nouvelles religions au lieu des anciennes, tous également sans valeur, tous des barrières, des limitations, des béquilles. Car vous en êtes là. Au lieu des anciennes différences spirituelles, vous en avez de nouvelles, de nouvelles formes d'adoration. Vous dépendez tous, pour votre vie spirituelle, de quelqu'un d'autre et, bien que vous ayez tout préparé pour moi pendant dix-huit ans, lorsque je viens vous dire qu'il faut rejeter tout cela et chercher en vous-mêmes l'illumination, la gloire, la purification, l'incorruptibilité du SOI, pas un de vous n'accepte de le faire. Ou du moins très peu, très peu. »
 
A la naissance, le bébé a besoin de cerceaux pour marcher. Si on les lui ôte trop tôt, il tombe à terre et se fait mal. Mais, lorsqu'il devient adulte, si on les lui maintient, ils entravent sa croissance. Il en est de même pour les croyances et dogmes, religieux ou politiques, dés lors qu'ils restent des béquilles que ne justifient ni l'âge, ni la condition humaine. Pour certains, ils sont indispensables car, toute leur existence durant, ils resteront de "grands enfants" ; pour les autres, ils seront des boulets qui les empêcheront d'avancer et il est alors urgent de les désentraver. Ce fut le travail de KRISHNAMURTI, notamment.
 
« Dans ces conditions, quel besoin d'organisation ? »
 
Certes, les organisations spirituelles sont bien des entreprises de conditionnement psychologique.
 
« Que ferais-je d'une suite de gens insincères, hypocrites, moi l'incorporation de la Vérité ? Encore une fois, je ne veux rien dire de dur ou de peu charitable, mais nous en sommes à un point où il faut regarder les choses en face. J'ai dit, l'année dernière, que je n'acceptais aucun compromis. Bien peu m'ont compris. Cette année, je ne laisse subsister aucun doute. Je ne sais pas combien de milliers de personnes à travers le monde, des membres de l'Ordre, ont tout préparé pour moi pendant dix-huit ans ; maintenant ils ne veulent pas écouter, sans réserves, ce que je dis. »
 

Là, KRISHNAMURTI dévoile et dénonce les contradictions chez les adhérents à la secte qu'il vient de dissoudre. D'une part, ils cherchent quelqu'un qui leur dicte leur comportement ; d'autre part, ils n'en veulent pas tout à fait. C'est assez hystérique, selon le principe du psychologue LACAN.
  
Tout à coup, puisque KRISHNAMURTI ne veut plus se faire l'écho de leurs fantasmes, les sectateurs ne veulent point l'accepter pour l' "incarnation de la Vérité", épithète qu'ils lui avaient imposé auparavant ! KRISHNAMURTI, avec un humour décapant, leur retourne leur discours mais il ne sera pas entendu. Il prêchera dans le désert de la bêtise.
 
« Alors, à quoi bon une organisation ? »
 
Toute organisation de la pensée et du sentiment s’avère une incongruité, un viol à l'échelle humaine.
 
« Je le répète, mon dessein est de faire des Hommes inconditionnellement libres, car je maintiens que la vie spirituelle consiste uniquement dans l'incorruptibilité du SOI, qui est éternel ; qu'elle est l'harmonie entre la raison et l'amour. Cela, c'est la Vérité absolue, inconditionnée, la Vérité qui est la vie elle-même. Je veux donc délivrer l'Homme et qu'il se réjouisse comme un oiseau dans le ciel clair, sans fardeau, indépendant, extatique au milieu de cette liberté. Et moi, pour qui vous avez tout préparé pendant ces dix-huit années, je vous dis qu'il faut vous affranchir de toutes ces choses, de toutes vos complications, de tous vos empêtrements. »
 
La liberté, les Hommes ne la veulent pas. Oh, quelle contre vérité que voilà ! Et pourtant. Si les Humains avaient voulu être libres, réellement, la terre serait devenue le paradis retrouvé, cher aux Philosophes. Car la liberté n'est pas un acquis mais un état d'être de la conscience totalement éveillée et achevée. Elle est ouverture par l'élargissement de la conscience dans un sens universel. Alors les frontières intérieures tombent ; ce qui est plus difficile que de faire chuter les limites extérieures.
 

« Et pour cela, vous n'avez nul besoin d'une organisation basée sur une croyance d'ordre spirituel. A quoi bon une organisation pour cinq ou dix personnes dans le monde, pour cinq ou dix personnes qui comprennent, qui luttent, qui ont rejeté toutes les mesquineries ? Et quant aux faibles, aucune organisation ne peut les aider à trouver la Vérité ; il faut qu'ils la trouvent en eux car elle n'est ni loin ni prés. Elle est éternellement là. »
  
Le problème est bien posé, une nouvelle fois. Les bovidés sont parqués, nourris, soignés et aimés pour être dévorés ensuite... Le paysan aime ses poules, certes ; mais c'est pour les manger. Les humains sont toujours exploités, pour leur bien (sic), et afin d'être mieux consommés par les autres.

"Faut-il réveiller les esclaves", interrogeait André MALRAUX. Poser la question, c'est y répondre.
 
« Encore une fois, aucune organisation ne peut nous rendre libres. Rien ni personne, du dehors, n'en est capable ; vous n'y parviendrez ni par un culte officiel, ni par l'immolation de vous-mêmes pour une cause quelconque, ni par l'accomplissement d'aucune œuvre. Vous employez une machine à écrire pour votre correspondance, mais il ne vous vient pas à l'esprit de la mettre sur un autel pour l'adorer. Eh bien, c'est cela que vous faites lorsqu'une organisation devient par elle-même votre principal centre d'intérêt. "Combien de membres contient votre ordre ?" Voilà la première question que me posent les reporters. "Combien de personnes vous suivent ?" "Par leur nombre nous jugerons si ce que vous dites est vrai ou faux". Je ne sais pas combien ils sont. Je ne m'occupe pas de cela. Comme je l'ai dit, s'il y avait un seul Homme délivré, ce serait assez. »
 
L'hypocrisie est de taille. Les meneurs se targuent de représenter un certain nombre d'adhérents, ou de victimes... et, en vertu d'une surenchère, réclament des pouvoirs personnels. Les élus ne sont ainsi jamais contrôlés par leurs électeurs.
 
L'orage ne peut venir que d'une minorité d'individus car la majorité ne souhaite que du "pain et des jeux" (sic), selon le principe de CÉSAR : "Panem et circemses". Détenir le pouvoir sur le rêve et l'économie est la clef de tout gouvernement scélérat.
 
« Vous gardez l'idée que seules certaines personnes détiennent la clef du royaume du bonheur. Mais personne ne la détient. Personne n'en a l'autorité. Cette clef se trouve dans votre propre SOI, et c'est seulement dans le développement, dans la purification et dans l'incorruptibilité de votre SOI, que réside le Royaume de l'Éternité. Ainsi vous verrez combien est absurde tout cet édifice que vous avez construit en cherchant une aide extérieure et faisant ainsi dépendre des autres ce confort, ce bonheur et cette force que vous ne pouvez trouver qu'en vous-mêmes. »
 
La liberté, comme la vérité, est intérieure. Elle ne saurait donc être enseignée.
 
« Donc, à quoi bon une organisation ? »
 
Une organisation n'est que la projection du désir de domination sur autrui, dés lors qu'elle dépasse son simple rôle de mécanisme matériel. Ainsi, les chemins de fer constituent un système indispensable dont les rouages doivent permettre un fonctionnement et une structure harmonieuses. Mais, en matière subjective, jamais l'Homme ne doit imposer aux autres ses idées. Car, même les questions matérielles se discutent et se négocient ! Le grand VOLTAIRE écrivait : « Je ne suis pas d’accord avec vos idées mais je me battrai afin que vous puissiez les exprimer. »
  
« Vous êtes habitués à ce que l'on vous dise combien vous êtes avancés, quel est votre degré spirituel. Que c'est puéril ! Sinon vous, qui donc peut vous dire si vous êtes beau ou laid intérieurement ? Si vous êtes incorruptibles ? Allons, ce n'est pas sérieux. »
 
Là encore, le concept pédagogique de la carotte et du bâton est bien ancré dans les consciences. Le Maître, le Professeur, enseignent et les autres doivent écouter. Certes, mais toujours avec esprit critique dans le sens constructif.
 
Les concepts de beauté et de laideur sont subjectifs ; par conséquent, ils n'engagent que la responsabilité de leur auteur. Ainsi, pour un crapaud, une crapaude sera belle si elle a de grosses pustules ; pour un singe, la guenon sera belle si elle possède de belles callosités fessières bien suintantes. Pour un homme , une femme sera belle si elle a de jolies fesses et des seins rebondis. Qui a dit que l'être humain n'était qu'un animal, un mammifère ? Quant à juger de la beauté intérieure !
   
« A quoi bon une organisation ? »
   
Une organisation n'est qu'une cage, dorée ou bien rouillée ; ce n'est pas la nature du métal qui fait la cage. Dés qu'il y a dogme, foi, croyance, il y a organisation de... l'Ignorance.
   
« Mais ceux qui, vraiment, désirent comprendre, s'efforcent de trouver ce qui est éternel, sans commencement ni fin, ceux-là marcheront ensemble avec une plus grande ardeur, une plus grande intensité, et ils seront un danger pour tout ce qui n'est pas essentiel, pour les irréalités, pour les ombres. Et ils se concentreront. Ils deviendront la flamme, parce qu'ils auront compris. »
  
KRISHNAMURTI annonce la... mauvaise nouvelle. Les êtres libres seront incompris, combattus et persécutés ; même dans leur famille. Car ils seront l'orage contre l'accessoire, le superflu et le superfétatoire.
   
« C'est ce corps qu'il nous faut créer, et tel est mon dessein. A cause de cette vraie compréhension, il y aura la vraie amitié. A cause de cette amitié, que vous ne semblez pas connaître, il y aura la vraie coopération de la part de chacun. Et cela, non pas à cause d'une autorité, ni à cause d'un salut, ni à cause d'une immolation pour un idéal, mais parce que vous aurez vraiment compris et que, par conséquent, vous serez capable de vivre dans l'éternel. C'est là une plus grande chose que tous les plaisirs, que tous les sacrifices. »
 
Pour celui, pour celle qui réfléchissent au destin de l'humanité, avec profondeur, le dessein de la conscience poind à l'horizon de la connaissance. L'humain n'est encore qu'au stade primitif du cerveau saurien accompagné du cerveau de mammifère et du néo cortex balbutiant. L'orgueil des uns, lié à l'avidité concomitante, produit l'exploitation des autres pour leur... bien ! Pourtant, comme il en est pour le jour qui contient la promesse de la nuit, l'espèce humaine peut tout espérer d'une mutation biologique, positive et constructive.
  
« Voilà donc quelques-unes des raisons qui m'ont fait prendre cette décision, après deux années d'un examen attentif. Ce n'est pas à la suite d'une impulsion momentanée. Je n'ai été persuadé par personne, je ne me laisse pas persuader en de telles circonstances. Pendant deux ans, je n'ai pensé qu'à cela, avec soin, avec patience et j'ai décidé de dissoudre l'Ordre, puisque je me trouve en être le Chef. Vous pouvez former de nouvelles organisations et attendre quelqu'un d'autre. Je ne m'en occuperai pas, je ne veux pas créer de nouvelles cages. Mon seul souci est de délivrer les Hommes, de les rendre libres, libres d'une façon inconditionnelle, absolue. »
  
Le comble, chez KRISHNAMURTI, ce sera d'avoir démissionné de son rôle de chef ; les Hommes n'y auront rien compris. Car le "vulgum pecus" attend de la vie qu'elle lui confère pouvoir et autorité sur les autres ; certains se prostitueraient pour avoir un bout de commandement. Alors KRISHNAMURTI ne sera pas compris !
   
CONCLUSION
    
"Et nous voilà au cœur du problème qui est la lutte des misérables
contre la "triple alliance de l'Argent, de la Religion et de la Loi".
 
Pierre JAKEZ HELIAS
(Préface) TOINOU
Le cri d'un enfant auvergnat (pays d'Ambert)
par Antoine SYLVERE (chez PLON)
 
Le substrat de la recherche humaine est latent chez toute créature. Oblitéré par les religions, certaines politiques, des philosophies perverses et idéologies mortifères, il demeure néanmoins.
  
KRISHNAMURTI fut l'orage et le courage face à l'inertie. Il reste une comète qui déchira le ciel de notre ignorance, surréel, mais désormais fécondé par un ferment revivifié.
  
Car il faut qu'Il, il faut qu'Elle... Me révèle à moi-même ; alors je l'Aimerai pour l'éternité, après la mort de la Vie, après la Mort de la mort.
 
La voix du silence avait parlé ; car, silence redevenu, il fut. SOI !

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